Orla n’avait que peu de goût pour la plupart des cours, et même l’école en général. D’ailleurs, sans l’intervention du professeur Seisyll, elle aurait très probablement arrêté ses études après sa dernière année. Mais il avait su la convaincre qu’elle pouvait être douée, en particulier pour les potions. Elle avait choisi un cursus qui lui offrait la possibilité de poursuivre un cours de Potions&Poisons, matière pour laquelle elle était particulièrement douée, ce qui était plutôt étonnant, lorsque l’on connaissait sa maladresse perpétuelle et son don pour causer les pires catastrophes. Au contraire, lorsqu’il s’agissait de fabriquer des philtres de toutes sortes, elle se montrait d’une patience et d’une précision étonnantes. C’était là un phénomène que nul n’aurait pu expliquer. Quoi qu’il en soit, même si elle ne savait absolument pas quoi faire de sa vie, même si elle avait hâte d’avoir un véritable métier, elle aimait se retrouver parfois dans la salle de potions et travailler sur des mélanges et compositions de toutes sortes. Ce jour là, elle profita du temps qu’elle avait entre les cours et le dîner pour s’y rendre de sa démarche sautillante. Comme à son habitude, elle parlait toute seule, de choses et d’autres, du temps qu’il faisait, du dernier cours particulièrement ennuyeux, durant lequel elle avait manqué de s’endormir. En passant dans le couloir, elle regarda de tous les côtés à plusieurs reprises, espérant apercevoir Xenophilius quelque part. Malheureusement, ses attentes furent déçues et elle dut se résoudre à descendre au sous-sol sans avoir eu la possibilité de le croiser et de lui parler, comme elle le faisait toujours. Déçue, elle se consola en songeant qu’il serait toujours possible qu’elle le voit durant le dîner, dans la Grande Salle. En attendant, elle comptait s’occuper en travaillant sur la potion qu’elle préparait actuellement.

Elle parvint jusqu’à la salle de cours et eut la surprise de la découvrir vide. Habituellement, elle était toujours presque certaine d’y trouver le maître des potions, ou au moins quelques élèves passionnés et désireux de poursuivre leurs travaux un peu plus tard. Tant pis, elle ferait la conversation toute seule. Elle trottina jusqu’au placard, d’où elle prit la préparation sur laquelle elle travaillait, ainsi que les ingrédients et ustensiles dont elle avait besoin. Ces derniers temps, elle avait entrepris la préparation d’un remède visant à soigner une maladie de peau dont souffraient parfois certains hypogriffes. Il s’agissait là d’une potion complexe, qui demandait du temps, et surtout beaucoup d’attention de sa part, chose dont elle était capable, malgré les apparences. Tout en continuant son flot de paroles ininterrompu, elle réunit les diverses fioles, versa sa préparation dans un chaudron et la réchauffa à feu doux. Puis, elle se mit à couper soigneusement quelques racines qui lui serviraient par la suite. Elle se demanda en même temps où était passé son chat noir qui habituellement la suivait partout, regretta tout haut de ne pas avoir pu voir Xenophilius, se demanda où il était lui aussi, puis espéra qu’il y aurait du pudding au dîner.

Trop occupée à sa tâche, ainsi qu’à son bavardage, elle n’entendit pas immédiatement la porte s’ouvrir sur un autre étudiant, qui n’était pas n’importe quel étudiant, mais quelqu’un qui lui en voulait particulièrement depuis le jour où, sans le vouloir, elle avait fait pousser d’adorables oreilles de lapin duveteuses sur le dessus de sa tête. Si elle l’avait trouvé réellement mignon comme ça, il n’avait pas partagé son avis et ne le lui avait jamais pardonné. Mais elle ne songea pas un instant qu’il aurait pu se trouver là, ou même qu’elle aurait pu avoir de quelconques ennuis dans cette salle. Elle réfléchissait à voix haute, espérant que la potion fonctionnera, qu’elle parviendrait à en venir à bout. Puis elle se demanda si elle verrait Emmeline pendant le dîner, elle ne lui avait pas parlé depuis un certain temps. Elle songea à ce qu’elle pourrait bien faire durant les prochaines vacances. Elle espérait revoir ses frères, et surtout sa nouvelle petite nièce dont elle avait reçu la photo par hibou le matin même. Elle avait souvent regretté qu’ils ne puissent étudier dans la même école, ce qui lui permettrait de les voir plus souvent. Mais à présent, ils étaient tous installés de leur côté, ou presque. Oui, elle songeait à tout et n’importe quoi, sauf à regarder derrière elle.

L'après midi avait été longue. Les deux heures d'anatomie finissaient toujours par retourner le cerveau de Regulus. Il avait beau être intelligent, il était loin d'être sans faille et l'anatomie était sa plus grande lacune. Il n'avait pas eu beaucoup de cours encore, mais cela suffisait à lui faire comprendre la difficulté de la chose. Apprendre des schémas par cœur, se casser la tête à retenir des noms qui se ressemblaient tous, c'était un exercice compliqué. Et figurez vous que les organismes de certaines créatures magiques avaient la capacité de se modifier selon des paramètres divers et variés. Comment voulez vous qu'il s'en sorte ? Enfin, en général, après ces deux heures de galère, il pouvait souffler en suivant avec attention les deux heures de potions. Deux heures durant lesquelles il pouvait être fier de son travail, deux heures durant lesquelles il pouvait s'extasier sur la beauté de l'art des potions, sur la précision et la rigueur nécessaire, sur le mélange subtil des ingrédients. Mais cette fois ci, même le cours de potion avait été un calvaire. Il y avait des jours ainsi, où tout allait de travers. Ses racines d'asphodèle ne se réduisaient pas en poudre, et sa mixture se mélangeait mal. Au final, la potion n'avait pas du tout la couleur attendue et à voir l'apparence sombre de la fumée qui s'élevait du chaudron et l'odeur nauséabonde qui s'en dégageait, il s'en était fallu de peu que la potion explose. Finalement, il avait écopé d'un P, avait du subir le regard déçu de son professeur et était particulièrement furieux contre lui même.

Il avait l'air plus renfrogné que jamais en sortant du cachot. Et sa colère ne s'apaisa pas alors qu'il empruntait les couloirs menant à la salle commune des Serpentards. Et les insultes qu'il lança à Emma Lewis ne lui furent d'aucun réconfort. Bien au contraire. Elle le remit prestement à sa place et sa fureur augmenta encore d'un cran. Il avait des devoirs et comptait bien profiter de son temps libre avant le dîner pour rédiger au moins sa dissertation sur une maladie magique étudiée lors du dernier cours d'étiologie. Mais il s’aperçut très vite qu'il était incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. Il ne cessait de penser à cette potion, pourtant pas très compliquée, qu'il n'avait pas été capable de mener à bien. Au bout de dix minutes passées à fixer son manuel sans retenir la moindre information, il décida qu'il valait mieux régler ce problème. Il referma le grimoire d'un coup sec, se leva brusquement, remballa ses plumes, parchemins et encriers et remonta le tout dans son dortoir avant de ressortir de la salle commune d'un pas décidé. Il allait refaire cette potion. Encore et encore, jusqu'à ce qu'il obtienne un résultat parfait. Une fois ceci fait, il retrouverait toutes ses capacités de concentration et pourrait faire ses devoirs sans soucis. C'était un bon plan. Un très bon plan. La seule chose qu'il n'avait pas prévu, dans son super plan, c'était que la salle de potion soit déjà occupée.

Bien sûr, il savait que la salle était souvent utilisée par des élèves, ceux qui excellaient en potions et qui voulaient faire des expériences en complément des cours. Ceux qui voulaient juste retravailler un philtre mal maîtrisé. Ceux qui passait leur temps à faire exploser des chaudrons mais qui continuaient à travailler encore et encore dans l'espoir, sans doute vain, de réussir un jour à parvenir au bout d'une mixture. Oui, Regulus se doutait que peut-être quelqu'un serait déjà présent, le nez au dessus d'un chaudron fumant, les yeux rivés à un manuel corné, enseveli sous une montagne d'ingrédients, les joues rougies par la chaleur des flammes. Mais jamais il n'aurait pu imaginer que ce quelqu'un, ce soit elle. Sa première réaction, lorsqu'il ouvrit la porte et que son regard tomba sur Orla Price, occupée à discuter toute seule, fut de faire demi tour. Un pas en arrière. Une envie de fuite. Pas qu'il craigne cette fille, loin de là, seulement, il n'était pas du tout dans de bonnes dispositions pour supporter l’excentricité de la Poufsouffle. Mais ce ne fut qu'un pas. Parce que, aussitôt, sa mauvaise humeur reprit le dessus et le souvenir qu'il s'était juré de haïr cette fille à vie lui revint. Celle qui avait osé lui jeter un sortilège destiné à … il ne savait même pas quel était ce sort à la base, ni même si les effets produits étaient bien ceux escomptés. Toujours est-il qu'il s'était retrouvé affublé de ridicules oreilles de lapin. Lui, Regulus Black, obligé de courir à l'infirmerie en tentant vainement de cacher ces horreurs. Tout Poudlard s'en souvenait encore et surtout, lui et son amour propre n'avaient jamais oubliés. Alors non, il n'avait aucune envie de supporter Orla Price. Mais ce n'était certainement pas à lui de quitter les lieux. Elle était indésirable, et il comptait bien le lui faire comprendre. Et la faire déguerpir, de grès ou de force. Il sortit sa baguette et referma violemment la porte dans un claquement sec qui fit sursauter la jeune fille. Il n'attendit même pas qu'elle se tourne vers lui pour lancer les hostilités :

'' Price, tu pollues mon espace vital ! Décampe d'ici, ta vue me brûle les yeux. ''

Il aurait pu lancer un sort. Attaquer un adversaire de dos ne le dérangeait nullement. L'important, selon un Black, ce n'était pas la façon dont on parvenait à gagner, mais la victoire, tout simplement. Et la formidable réussite d'Orion Black en était un formidable exemple. Il ne pensait d'ailleurs pas vraiment que Orla eut quelque chance dans un duel contre lui mais il devait bien avouer que le coup des oreilles de lapin, ça avait déjà été très difficile à avaler la première fois, il ne tenait nullement à renouveler l'expérience. Peut-être Price avait-elle des talents cachés pour les sortilèges loufoques, ce ne serait pas étonnant. Et il n'avait aucune envie de les expérimenter. Il s'en tiendrait donc à quelques mots, pour l'instant, même s'il fallait bien l'avouer, sa baguette le démangeait.

'' Et je te conseille fortement de t'éloigner de ce chaudron, tu es tellement incapable que le château tout entier pourrait bien exploser. ''

Il était de mauvaise foi. Si la maladresse de la Poufsouffle était connue de ses camarades, ses talents de potionniste étaient tout aussi remarqués. On s'étonnait même qu'elle soit capable de telles prouesses, elle qui enchaînait les étourderies habituellement. Mais que voulez vous, Regulus était ainsi, il ne se souvenait que de ce qui l'arrangeait.

Les compétences d’Orla s’étendaient sur des domaines extrêmement définis. Elle pouvait être réellement douée dans certaines matières, et d’un niveau pitoyable dans les autres. Ainsi, si elle était une excellente attrapeuse, elle était en revanche d’un niveau assez faible en ce qui concernait le duel. Elle avait les connaissances que l’on attendait d’une élève de neuvième année, mais elle était également d’une incroyable maladresse et il n’était pas rare qu’elle manque sa cible, ou pire, cause de véritables catastrophes. Il est vrai que ce n’était jamais agréable, néanmoins, elle ne s’en formalisait pas. Elle avait de nombreux défauts, mais elle n’avait jamais eu honte de ce qu’elle était ou de ce que l’on pouvait penser d’elle. L’opinion des autres lui importait peu, à part peut-être, celle de Xenophilius, à qui elle pensait sans cesse et qu’elle ne cessait de poursuivre à chaque fois qu’elle le croisait, malgré les soupirs du jeune homme qu’elle ne semblait même pas remarquer. Malheureusement, pour le moment, elle devait se contenter de la potion qu’elle était supposée préparer. L’avantage était que cette préparation lui prenait tellement d’attention qu’elle ne parvenait pas à penser à autre chose, mis à part les éléments triviaux qui pouvaient lui traverser l’esprit et qu’elle verbalisait en parlant à tort et à travers, toute seule tandis qu’elle travaillait. En effet, Orla parlait sans arrêt, à elle, à son chat, à ceux qu’elle croisait, même s’ils ne l’écoutaient pas ou ne voulaient pas l’écouter, et à ceux qu’elle aimait bien.

La plupart des élèves de l’école la trouvaient un peu, voire très étrange, ce dont elle ne s’offusquait pas vraiment. Elle savait qu’elle n’était pas la plus populaire, mais néanmoins, beaucoup de personnes parmi les élèves l’aimaient bien une fois qu’ils avaient appris à la connaître, la trouvant adorable et attachante. Cependant, il lui arrivait au cours d’événements fortuits de se créer des inimitiés. C’était ce qui s’était passé avec Regulus, qui avait un jour été la malheureuse victime de l’un de ses sorts farfelus. Honnêtement, jamais elle n’aurait imaginé qu’il se vexerait à ce point en se retrouvant avec ces oreilles de lapin sur la tête. Elle avait beau lui expliquer et lui réexpliquer qu’elle ne l’avait pas fait exprès et qu’après tout, ce n’était pas si grave, rien à faire, il lui en voulait et il avait la rancune tenace. La petite blonde n’avait vraiment peur que de deux choses: l’eau, et les poupées de porcelaine. Pour le reste, il était rare qu’elle se sente vraiment terrassée par la crainte. Le jeune Serpentard avait beau se montrer menaçant et être douée pour la magie, elle n’en avait pas réellement peur, du moins, pas au point de raser les couloir afin d’éviter de le croiser.

Néanmoins, ce n’était pas pour autant qu’elle cherchait sa compagnie, bien au contraire. Elle le trouvait désagréable et le fait qu’il puisse lui tenir rigueur de ce malheureux accident lui semblait réellement absurde et ne collait pas avec son étrange logique. Occupée comme elle l’était à sa tâche, elle ne l’avait pas entendu entrer, jusqu’au moment où il ouvrit la bouche, pour lui indiquer clairement qu’elle était de trop. Surprise, elle sursauta, non pas parce que c’était lui, mais parce qu’elle avait cru être seule et elle se retourna vivement. Elle ne chercha pas à masquer son déplaisir et afficha immédiatement une moue boudeuse.

« La salle est à tout le monde, et j’étais là avant je te signale. Si ma présence t’ennuie tant que ça, tu es libre d’aller voir ailleurs! »

Elle ne se laissa absolument pas impressionner. Pourtant, elle devait bien avouer qu’il était arrivé au jeune homme de lui faire peur, lorsqu’il commençait à se montrer physiquement menaçant, mais tant que ce n’était pas le cas, il était hors de question qu’elle fasse ce qu’il lui demandait. Et puis, il l’ennuyait, elle tenait à finir ce qu’elle avait commencé et elle ne voyait pas pourquoi il ne voulait pas la laisser travailler. Comptait-il lui dire quelque chose d’important? Il n’en avait pas l’air, au contraire, il l’agressait sans la moindre raison, ce qu’elle n’appréciait pas. Elle se sentit profondément vexée lorsqu’il évoqua son incapacité à effectuer correctement sa préparation. Elle se savait incapable dans beaucoup de domaines, mais pas dans celui-là.

« C’est faux ! C’est encore à cause de cette histoire d’oreilles de lapin, c’est ça? Combien de fois faudra-t-il que je te dise que je ne l’ai pas fait exprès? Et puis, si tu veux tout savoir, je te préférais avec, tu étais bien plus agréable à regarder. » Puérile, elle lui tira la langue avant de se tourner de nouveau vers son chaudron. « Maintenant laisse-moi tranquille. Je veux travailler et tu me déranges. »

Qu’il y ait quelqu’un près d’elle ne la dérangeait pas, sauf s’il s’agissait d’un individu si négatif qui passait son temps à s’en prendre à elle pour des raisons plutôt absurdes. Elle aurait encore préféré la compagnie du fantôme Peeves plutôt que celle de Regulus Black.

Finalement, tout ceci n'était rien de plus qu'un prétexte. Il était en colère, il était frustré, il était déçu de lui même, et il passait ses nerfs sur Orla. N'importe quel né-moldu aurait fait l'affaire, en vérité. Price ou une autre, il n'y avait pas tellement de différence. Seulement, il devait bien avouer qu'il éprouvait un certain plaisir à s'en prendre à elle en particulier. C'était une revanche personnelle. Il estimait qu'il était tout à fait légitime de sa part de haïr Orla Price, après le fâcheux incident dont il avait été victime. Et non, il ne le lui pardonnerait jamais. Un Black touché dans sa fierté avait la rancune tenace. De toute façon, Orla était la victime parfaite. Elle n'avait rien pour elle, vraiment. En plus de son sang de bourbe qui souillait ses veines, elle était chez les inutiles Poufsouffles. Et puis, elle était tellement étrange, tellement décalée. Trop différente pour être appréciée de Regulus. Voire même tolérée. Lui qui avait appris depuis son plus jeune âge à rentrer dans le monde, à ressembler aux autres, à ne pas détoner dans le lot, à se démarquer avec subtilité et élégance, avait du mal à concevoir qu'on puisse être si exubérant, si étrange. Elle ne rentrait pas dans les normes. Et tout ce qui ne rentrait pas dans les normes ne plaisaient pas à Regulus.

Pourtant, elle ne semblait pas avoir peur de lui. Pas le moins du monde. Ce n'était pas faute de l'avoir menacée, plusieurs fois, d'avoir bien faillit lui mettre son poing dans la figure, au détour d'un couloir, quand l'exaspération était à son comble. Il était passé à deux doigts de réduire son joli visage trop innocent en bouillie. Et il l'aurait fait sans le moindre scrupule si ses beaux principes d'éducation ne s'étaient pas rappelés à lui suffisamment tôt. Non, le fait qu'elle soit une fille ne le dérangeait pas. Il ne pouvait seulement pas s'abaisser à frapper à la manière d'un vulgaire moldu. Ce n'était pas digne de lui. Pas digne de sa condition. Pas digne de son nom. Les duels de sorciers, les maléfices, les sortilèges qui volaient et s'entrechoquaient, il n'y avait que ça de vrai. Mais malgré la réputation pourtant pas très flatteuse du garçon, malgré des méthodes d'intimidations qui avaient fait leurs preuves avec bien d'autres élèves, elle continuait à lui tenir tête. C'était peut-être pour ça aussi, qu'il aimait tant venir l'insulter. Parce qu'elle ne se laissait jamais faire et qu'ils pouvaient entrer dans une véritable joute verbale. C'était nettement plus libérateur que de voir sa victime fuir sa présence, quand bien même il parvenait à lui tirer des larmes. Au moins, en s'en prenant à Orla, il pouvait se défouler, laisser éclater sa colère aussi longtemps qu'il en avait besoin. Elle tenait le coup. Peut-être était-elle un peu inconsciente, au final. Mais le fait était là : il ne lui avait jamais fait de mal, hormis les insultes, les menaces et quelques frayeurs. Il n'avait jamais été plus loin. Mais jusqu'à quand s'amuserait il de cette haine mutuelle ? À quel moment déciderait-il qu'il n'avait plus besoin d'elle et qu'il pouvait la briser ? Peut-être plus tôt qu'elle ne le pensait. Ou peut-être jamais.

Il la laissa répliquer, s'appuyant nonchalamment à la porte. Il n'avait plus tellement envie de travailler, en vérité. Il avait trouvé un formidable exutoire à sa colère, il comptait bien en profiter. Il n'affichait aucune expression, comme bien souvent. Il avait passé tellement de temps à forger ce masque d'indifférence qu'il le revêtait sans même s'en rendre compte désormais. Elle lui tira la langue, un geste qui fit lever les yeux au ciel au Serpentard. Décidément, cette fille n'avait aucune espèce de classe. Elle était puérile, stupide, ridicule et dérangée. C'était une certitude. Peut-être était-elle atteinte d'une quelconque maladie psychique qui expliquerait son comportement ridicule ? Il n'en savait pas encore suffisamment en matière de médicomagie pour l'affirmer, mais il était prêt à le parier.

'' Il serait temps que quelqu'un rappelle aux sangs-de-bourbe dans ton genre que leur présence empoisonne le château tout entier. Ta place n'est pas ici, Price, retourne donc dans ton monde. ''

Il s'approcha d'elle, regardant le chaudron sur lequel elle était en train de travailler en fronçant les sourcils, l'air concentré. Et à nouveau, sa voix s'éleva, faussement agréable, pour une fois, faussement compréhensive, faussement enjouée.

'' Non, bien sûr, c'était un accident. Je comprends. Tu as malencontreusement jeté un sort qui par le plus grand des hasards avait un effet totalement stupide et pas un manque de chance incroyable je me suis retrouvé sur sa trajectoire. Vraiment, c'est un terrible concours de circonstance. ''

Sa main se referma sur une fiole d'une couleur grisâtre qui trônait auprès des racines préparées par la jeune poufsouffle. Il la déboucha et, suffisamment rapidement pour qu'elle n'ait pas le temps de faire le moindre mouvement, en versa le contenu à l'intérieur du chaudron.

'' Oups. Je n'en ait pas fais exprès, vraiment. Quelle maladresse. Enfin, ce sont des choses qui arrivent n'est ce pas ? ''

Oui, c'était tout à fait puéril et tout à fait idiot. Mais Regulus était content. Il avait eu sa petite vengeance, il avait ruiné la potion de Miss Price. Il avait fait sa mauvaise action du jour, et il s'amusait comme un fou. Il avait reconnu la potion sur laquelle travaillait Orla. Il savait que c'était un mélange complexe et surtout très long. Il savait aussi que cette petite potion grise qu'il venait de déverser intégralement ne devait être utilisée qu'à la toute fin de la préparation, et sûrement pas en aussi grosse quantité. En général, une goutte était amplement suffisante. Alors, il se doutait bien qu'en versant une fiole entière à cet instant précis, il réduirait à néant tout le travail de la poufsouffle. Seulement, tout à sa petite victoire qu'il savourait, un sourire victorieux aux lèvres, il n'avait pas prévu les effets secondaires que son geste risquait d'avoir.

Tout ceci ne l’amusait absolument pas. Orla n’était pas du genre à prendre les choses avec gravité. Au contraire, elle était d’un naturel optimiste et préférait largement rire à la barbe de ceux qui l’ennuyaient plutôt que s’énerver. Mais cette fois-ci, c’était un peu différent. L’acharnement de Regulus, ainsi que sa fierté mal placée, commençaient réellement à la fatiguer. Elle avait souvent des difficultés de concentration, et elle détestait être dérangée lorsqu’elle avait un objectif en tête. Ici, il s’agissait de réussir cette potion particulièrement difficile, sur laquelle elle avait durement travaillé. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, elle avait souvent tendance à se dévaloriser lorsqu’il s’agissait du cadre scolaire. Elle n’était pas toujours douée, loin de là, et elle créait même souvent des catastrophes. Elle avait même songé à abandonner l’école à un moment donné, et ce n’était que grâce à l’un des professeurs qu’elle avait continué et qu’elle s’était concentrée sur les domaines pour lesquels elle avait un peu de talent, comme les potions. Elle avait beau être née-moldue, elle était capable de faire de véritables prouesses dans ce domaine, n’en déplaise à certains individus tel que Regulus.

Elle n’avait pas peur de lui, du moins, pas encore. Les seules fois où elle avait senti son inquiétude pointer étaient chaque fois qu’il avait semblé sur le point de s’en prendre à elle physiquement, mais jamais il n’était allé au bout de son geste. Elle était si petite et menue qu’il aurait été illusoire d’imaginer qu’elle pouvait se défendre contre lui s’il décidait de l’attaquer. Néanmoins, elle trouvait toute cette situation absolument ridicule, tout comme le fait qu’il lui en veuille à ce point pour un simple sortilège raté. Quand allait-il oublier sa fierté mal placée et comprendre que tout ceci n’avait été qu’un simple accident? Si une telle chose lui était arrivée, elle n’en aurait certainement pas fait une telle histoire. Maintenir une réputation, voilà un concept qui échappait totalement à la petite blonde, qui se fichait bien de ce que l’on pouvait penser d’elle. Il faut dire qu’elle ne venait pas d’une grande famille, elle n’avait rien à défendre mis à part elle-même. En vérité, elle se moquait bien qu’on puisse la trouver bizarre ou qu’on juge ses goûts vestimentaires douteux. C’était ainsi qu’elle fonctionnait, et tant pis si ça ne plaisait pas. Ceci dit, étrangement, elle était en général plutôt appréciée, en particulier au sein de sa propre maison, mais visiblement Regulus était absolument insensible à son charme. Cela ne l’aurait aucunement dérangée s’il lui avait fichu la paix. Elle ignorait s’il venait l’ennuyer parce qu’il s’ennuyait, ou simplement parce que sa vue l’insupportait. Peut-être les deux, et à vrai dire, cela n’avait pas la moindre importance. Elle aurait voulu pouvoir se reconcentrer et se repencher sur son chaudron, mais elle se doutait que ce ne serait pas si simple.

Se faire traiter de sang-de-bourbe était loin d’être agréable. Habituellement, elle faisait comme si cela ne la touchait pas, mais cette fois-ci, elle était fatiguée, et agacée. Piquée au vif, elle rougit et le fusilla du regard.

« Tu t’acharnes sur moi simplement parce que tu ne digères pas le fait de t’être retrouvé avec des oreilles de lapin ! Mets ton orgueil de côté et grandis un peu ! »

Il était fort rare que la Poufsouffle sorte réellement de ses gonds, mais là, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait sur le point de se mettre en colère. Néanmoins, ce qu’il dit ensuite la surprit réellement. Il avait sérieusement l’air de croire qu’elle avait fait tout cela dans le simple but de lui nuire. Ne savait-il donc pas qu’elle avait bien d’autres choses à faire? Visiblement, peu importe ce qu’elle pourrait lui dire, il ne la croirait jamais.

« Evidemment ! Quand est-ce que tu vas le comprendre? Ce n’est pas un drame, après tout, les lapins sont très mignons, ça aurait pu être pire... »

Elle ne se rendit pas compte qu’elle risquait surtout d’aggraver son cas en insistant encore. Elle aurait voulu qu’il s’en aille à présent. Ne voyait-il donc pas qu’il la gênait? Mais visiblement, il avait d’autres projets en tête. Avant qu’elle ait eu le temps de réagir, il prit une fiole, la déboucha et en versa le contenu dans son chaudron, réduisant ainsi tous les efforts de la jeune Poufsouffle à néant. Cette fois-ci, elle explosa.

« Mais tu es complètement idiot ! Tu sais combien de temps j’ai passé sur cette potion ? »

Bien sûr qu’il le savait. Il l’avait fait exprès, c’était évident. Il connaissait les potions et il savait parfaitement l’effet que cela aurait sur la préparation. Il avait réellement dépassé les bornes et elle n’avait qu’une envie à présent, le lui faire payer. Orla se laissait rarement emporter par la colère, mais elle était impulsive, très impulsive. Elle ne réfléchit pas une seconde. Sous le coup d’une brusque impulsion, elle attrapa le chaudron à deux mains et le lança à la tête de Regulus, un geste dont elle ne mesura pas immédiatement la portée. Que le coup porte ou qu’il soit évité, il risquait de donner lieu à des conséquences fort désagréables...

Certes, ce n'était pas très malin, de ruiner la potion de la poufsouffle. C'était même parfaitement indigne de lui. Si son père l'avait vu faire un acte aussi insensé, aussi irréfléchi, aussi immature, il en aurait sans doute sauté au plafond. Mais son père n'était pas là. Et Regulus avait bien le droit, de temps à autre, de jouer au con. Ce n'était pas nécessairement une activité réservée aux Gryffondors. Et à vrai dire, c'était très agréable, d'agir ainsi sans prendre la peine de réfléchir, en sachant pertinemment, dans un coin de son cerveau, que les conséquences ne seraient pas plaisantes. Mais il se contentait de savourer le plaisir futile de l'instant, la victoire idiote qu'il verait d'avoir et le cri d'indignation d'Orla résonna à ses oreilles comme une douce mélodie. Bien sûr qu'il savait le temps qu'elle avait passé sur cette potion. Bien sûr qu'il savait le travail rigoureux qu'elle avait du fournir. Et c'était justement ce qui était marrant. Et bien quoi ? Elle trouvait amusant de l'affubler d'oreilles ridicules, lui trouvait hilarant de faire disparaître en un claquement de doigt le travail de longues semaines. Les élèves de Poudlard avaient de bien étranges façon de se divertir …

'' Quel dommage. Crois bien que je suis affreusement dés... ''

Il ne termina pas sa phrase. Il avait vu Orla se saisir du chaudron. Il l'avait vu le soulever légèrement. Mais jamais il n'avait pensé qu'elle serait capable de faire ça. Et pourtant. Elle le lui jeta à la figure. Regulus avait, fort heureusement, toujours sa baguette à la main et réussit à dévier la trajectoire du chaudron, d'un mouvement instinctif du poignet. Pour le coup, il n'avait même plus envie de simuler des excuses. Elle venait de lui jeter son chaudron, empli d'une potion douteuse, d'une potion ratée aux effets inconnus, potentiellement dangereux. D'accord, c'était légèrement de sa faute. Un peu. S'il n'avait pas versé cette fiole. Mais il ne lui avait jamais demandé de se servir de ce mélange suspect comme d'un projectile. Il lança un regard courroucé à Orla, qui semblait à peu près autant en colère que lui. L'instant d'allégresse , de satisfaction, était passé.

'' Non mais ça va pas bien ? Tu vas encore me dire que tu ne l'as pas fait exprès, ce coup ci ? T'as vraiment un problème Price. Un gros problème. ''

Mauvaise foi, le retour. Oui parce que à la base, elle n'avait rien demandé, Orla. Elle voulait simplement travailler tranquillement sur sa potion compliquée. Et puis lui, il avait débarqué, en colère et avec cette envie de se défouler sur quelque chose, ou sur quelqu'un. Mais pour Regulus, les choses allaient plus loin encore. C'était bien elle qui avait ouvert les hostilités, avec ce sortilège perdu. Mais au lieu de rejeter la faute sans arrêt sur sa camarade, Regulus aurait mieux fait de se retourner, pour une fois. Il aurait vu alors que le chaudron, qu'il avait réussit à éviter de justesse, avait atterrit un peu loin, juste derrière lui. Il s'était renversé et la potion avait coulé sur le sol. Mais ceci n'était pas tellement inquiétant. Tant qu'ils ne touchaient pas au liquide, il ne leur arriverait rien. Et un simple sortilège suffirait à réparer les dégât. Ce qui était plus problématique, en revanche, c'était la fumée épaisse qui commençait à s'élever dans la salle. Une fumée rose bonbon, que Orla allait sans doute trouver a.do.ra.ble. Que Regulus aurait sans doute trouvé hideuse. Mais il se retourna pas, trop occupé qu'il était à fusiller Orla du regard. Il ne se retourna pas et la fumée commençait à se propager dans la pièce. À se répandre dans toute les directions. Y compris vers lui. Il compris que quelque chose n'allait pas lorsqu'il commença à percevoir des reflets roses dans son champ de vision. Mais c'était déjà trop tard. Instinctivement, il se retourna. Et inspira une bonne quantité d'air pollué par cette fumée aux allures de barbe à papa. Aussitôt, il fit volte face, se concentrant à nouveau sur Orla, bien décidé à lui faire savoir son mécontentement. Elle venait d'enfumer la pièce, cette folle. Et il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il devait s'y prendre pour faire disparaître tout ça. Si jamais Dolohov rappliquait maintenant, ils allaient au devant de gros ennuis. Enfin, Orla surtout, parce que Regulus n'aurait aucun scrupule à lui mettre tous les tords sur le dos. Et comme Dolohov était employée par son père, elle s'arrangerait forcément pour le tirer d'affaire.

'' Tu as vu ce que tu as fais ! C'est vraiment malin. Je te préviens, ne compte pas sur moi pour … ''

Et pour la deuxième fois, il laissa sa phrase en suspend. Qu'était-il en train de dire déjà ? Il ne savait plus très bien. Il était en colère. Pourquoi donc ? Non, en fait, il n'était plus en colère. Il n'y avait aucune raison à cela. Regulus cligna un instant des yeux, perdu, la bouche entrouverte sur la fin d'une phrase dont il avait oublié le début. L'air parfaitement idiot. Mais il s'en fichait. Il était au delà, bien au delà de préoccupations aussi inutile. Il se sentait léger. Terriblement léger. Comme si tout à coup, tous ses problèmes, tous ses doutes, toutes ses responsabilités venaient de s'envoler. Et il se sentait bien. Simplement bien. Son regard se focalisa à nouveau sur Orla. Tiens, Orla. Elle semblait furieuse. Elle était marrante, Orla, quand elle était en colère. Un sourire amusé apparu sur ses lèvres. Et puis, il regarda autour de lui. La fumée, rose bonbon, lui arracha un rire. Pas un de ces rires moqueurs, malsains, mauvais, méchants dont il avait l'habitude. Mais un vrai rire. Un rire parfaitement agréable qui sonnait étrangement dans sa bouche. Il riait, tellement qu'il ne parvenait plus à s'arrêter, tellement qu'il était à moitié plié en deux, se tenant les côtes, tellement qu'il en avait les larmes aux yeux. Il tenta de reprendre sa respiration mais c'était difficile, très difficile de résister à l'hilarité qui venait de le gagner.

'' T'as vu Orla … la fumée … elle est rose. ''

La fumée rose … sans doute, en faisant n'importe quoi avec cette pauvre potion, avaient-ils créés une espèce de gaz euphorisant. Ou hilarant. En tout cas, c'était quelque chose de costaud, pour faire perdre pied à Regulus à un tel point. Il valait mieux espérer que ce soit assez puissant pour qu'une fois les effets dissipés, il ne se souvienne de rien, sans quoi sa fureur risquait d'être aussi mémorable que son pétage de câble. Et il continuait à rire comme un phoque alors que la fumée se dirigeait désormais vers Orla. Ça allait être sympathique, finalement.

Il fallait bien admettre que lancer un chaudron plein à la tête de quelqu’un était un geste particulièrement idiot, d’autant plus que désormais, nul n’aurait pu prédire quels étaient les effets de la potion qu’il contenait. C’avait été un geste totalement impulsif et irréfléchi, et s’il était arrivé qu’il ait des conséquences désastreuses, elles se seraient sentie extrêmement coupable. Elle avait beau détester Regulus et avoir parfois envie qu’il disparaisse, elle n’aurait pas voulu pour autant l’assommer ou le transformer en insecte. Quoiqu’il l’aurait amplement mérité. Heureusement, rien de si fâcheux ne se produisit et elle put profiter de la joie de l’avoir pris par surprise. Malheureusement, il était rapide et il sortit sa baguette en un éclair, empêchant l’ustensile de le heurter. Cette fois-ci, c’était à son tour d’être satisfaite. A quoi s’attendait-il? A ce qu’elle se laisse pitoyablement faire sans dire le moindre mot? Il ne lui faisait absolument pas peur, et il venait visiblement de le comprendre. Un large sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu’elle sautillait sur place.

« Non, je ne l’ai pas fait exprès. Comme tu l’as si souvent fait remarquer, je suis extrêmement maladroite. Et puis, c’est toi qui as fait cette potion, il serait normal que tu en testes les effets... »

Elle commençait à se sentir sérieusement en colère. Etait-il sérieux? Après tout, c’était lui qui avait provoqué tout ce bazar. Elle ne lui avait absolument rien demandé, pour une raison ou une autre, il avait décidé de venir l’ennuyer. Quelle que soit la chose qui l’avait mis de mauvaise humeur, il aurait très bien plus la gérer tout seul. A moins que ce soit elle qui en soit la cause, mais dans ce cas-là, c’était un problème qu’il devait régler avec lui-même. Cette histoire d’oreilles de lapin avaient eu lieu il y a un petit moment déjà, comment se faisait-il qu’il ne soit pas passé à autre chose? Ce n’était plus un enfant, il aurait dû être capable de comprendre qu’elle ne l’avait pas fait exprès, et d’aller de l’avant. Elle commençait d’ailleurs à en avoir assez qu’il se comporte comme si elle lui était inférieure, tout cela à cause de ses origines. Elle était fatiguée de toute cette histoire, et comptait bien y mettre un terme, même si elle savait qu’il ne voulait visiblement pas entendre raison.

Elle avait l’intention de lui dire une fois encore clairement ce qu’elle pensait, quand son regard se posa derrière le Serpentard, là où le chaudron était tombé. La potion s’était mise à couler sur le sol. Elle aurait pu le prévenir, mais le liquide était assez loin pour qu’ils aient le temps de réagir si jamais il s’approchait du jeune homme. Mais soudain, une fumée rose épaisse s’éleva du mélange. Elle devait bien admettre que cette fumée était particulièrement jolie, mais la jeune fille s’y connaissait suffisamment bien en potions pour savoir que joli ne signifiait pas sans danger. Elle aurait pu ne rien dire et laisser Regulus en subir les effets. En vérité, il l’avait très largement mérité et ce ne serait que justice qu’il se retrouve victime de ce qu’il avait créé. Néanmoins, ses scrupules la rattrapèrent : si cette fumée était vraiment dangereuse, elle n’avait aucune envie d’en avoir ses effets sur la conscience.

« Euh... Regulus, tu devrais peut-être... »

Mais tout ceci était inutile. Il ne l’écoutait pas, ou ne voulait pas l’écouter, et continuait sans fin à vociférer contre elle. Et puis, de toute manière, il était trop tard : la fumée l’avait atteint et il la respirait à présent à pleins poumons. Elle songea à tout ce qu’il se passerait si les effets en étaient vraiment graves : le père de Regulus était un homme influent, et Dolohov la détestait. Nul doute qu’elle serait renvoyée, à moins que Dumbledore intervienne en sa faveur, ce dont elle ne pouvait pas être certaine. Mais pourquoi ne réfléchissait-elle pas un peu plus avant d’agir?
Elle resta là, à craindre les effets de la fumée qui ne tarderaient pas à se manifester. Soudain, il s’interrompit et resta là, immobile, comme s’il était complètement perdu. Avait-il perdu la mémoire? Etait-il devenu complètement idiot? Au moins, il n’était pas mort, ce qui était un bon point. Puis, il la regarda, et c’est alors qu’il se mit à rire. Elle fut si surprise que, pour une fois, elle demeura muette. Voir le Serpentard rire de manière si franche était étrange et cela le rendait plus humain. Pour la première fois, elle le trouva presque sympathique. Il ne semblait plus en colère, au contraire. Alors, elle se mit à rire à son tour et à sautiller sur place.

« Oui, je l’ai vue. Elle est belle, hein ! »

Nul doute que c’était cette fumée qui avait produit un tel effet chez le jeune homme. Une fumée qui allait bientôt l’atteindre. Immédiatement, la petite blonde eut le réflexe de sortir sa baguette. Elle murmura quelques mots qui permirent de maintenir l’amas de rose à une distance respectable. Ceci dit, elle n’en avait pas besoin pour se sentir également euphorique. Etrangement, elle était ravie de le voir ainsi, elle le préférait largement que quand il était en colère contre elle. Il riait tant que cela la faisait rire à son tour.

« Il faudra que je me souvienne comment la faire, c’est vraiment trop drôle. Et qu’est-ce que c’est beau ! »

Malheureusement, elle riait tellement qu’elle baissa sa garde, et sa baguette. La fumée l’atteignit alors à son tour et ne fit que la faire rire de plus belle. D’un coup, elle oublia tout ce qui venait de se passer. Elle regarda Regulus et se demanda comment elle avait pu un jour être en colère contre lui, tellement il était amusant.

Il ne s'était jamais senti aussi bien. C'était une certitude. Certes, ses souvenirs étaient très flous, à l'instant présent. Il ne se souvenait pas de grand chose et se contentait de savourer l'instant présent sans se préoccuper de rien d'autre. Mais il savait tout de même que jamais, jamais il n'avait lâché prise à ce point, que jamais il n'avait rit comme ça, sans retenue, sans la moindre décence, brisant les règles et les conventions. Il avait l'impression qu'il venait d'arracher les chaînes qui l'avaient trop longtemps retenu prisonnier. Mais pourquoi donc passait-il son temps à faire la gueule ? C'était tellement mieux de se laisser aller à la joie. Il s'en rendait compte, à présent. Sûr, il ne serait plus jamais le même. Regulus, le Serpentard froid, insensible, fermé et impassible allait devenir le plus grand boute-en-train de l'histoire de Poudlard. Voilà. C'était très bien. Il ne pouvait plus cesser de rire, et le rire d'Orla ne faisait qu'accentuer son hilarité. Elle avait un rire parfaitement drôle, Orla. Elle avait des cheveux drôles, aussi. Et un uniforme amusant comme tout. D'ailleurs, tout était source de rire, dans cette pièce. Les murs à la couleur indéfinissable, les chaudrons ébréchés, les fioles dans lesquelles il pouvait voir les choses se refléter, déformées par la forme du verre. Un instant, il cessa pourtant de rire. Le temps de reprendre sa respiration. Le temps d'essayer de se calmer. Mais quand il remarqua les efforts d'Orla pour maintenir la fumée à distance, il reparti dans un fou rire incontrôlable. Comme elle était stupide, cette fumée était juste trop bien, pourquoi voulait-elle s'en protéger ? Oh, comme c'était amusant.

Orla trouvait la fumée jolie. Il l'aurait parié. Le rose, c'était bien un truc de fille. Quoiqu'en y réfléchissant, lui aussi trouvait la fumée très belle. Ou peut-être juste très drôle. Il ne savait plus très bien la différence. Dans tous les cas, la vue de cette fumée lui était agréable. Il n'était pourtant pas une fille. Voilà une considération franchement amusante. Tout comme la remarque d'Orla. Refaire la fumée, en voilà une bonne idée.

'' Oh oui, il faudra la refaire. Mais peut-être qu'on pourrait en garder un échantillon. Pour la montrer aux autres. ''

Oh ben oui, quelle merveilleuse idée. Premièrement, il ne savait pas lui même qui il désignait par 'les autres'. Orla et lui n'avait presque aucune connaissance en commun, personne en tout cas avec qui il pourrait vouloir partager une telle découverte. En fait, s'il avait été dans son état normal, il se serait arrangé pour que personne ne soit au courant de la création de cette fumée, et il se garderait bien de donner à quiconque le moyen de la reproduire. Il garderait ce petit secret pour lui, bien au chaud, espérant qu'il lui soit utile un jour. La seule personne avec laquelle il pourrait éventuellement partager une découverte de ce genre était Julius. Et encore. Et deuxièmement, l'idée d'en garder un échantillon n'était pas du tout une bonne idée. Si lui emprisonnait un peu de ce gaz dans une fiole, il pourrait tout à fait la réutiliser, sans doute pas dans un but louable. Et dans l'état actuel des choses, il valait mieux éviter de se faire trop remarquer avec des phénomènes magiques bizarres. Et si Orla en faisait de même, il n'était pas exclu qu'elle l'utilise sur lui, un jour ou l'autre. Au beau milieu d'une foule d'élèves de préférence. Elle en était capable, volontairement ou non. Elle l'avait ridiculisé une fois, c'était amplement suffisant. Sauf que, le cerveau complètement embrouillé de Regulus ne prenait absolument pas en compte ces paramètres. Lui, il trouvait juste que la potion était effectivement trop drôle et qu'il serait fort dommage de la gâcher.

Il était incapable, totalement incapable de contrôler le rire qui sortait de sa bouche. Il riait tellement qu'il commençait à en avoir des crampes dans le ventre. Par Merlin, c'était cool, mais ça faisait un mal de chien. Il fallait qu'il se calme. Respirer. Reprendre son souffle. Inspiration. Expiration. Voilà. Regulus avait enfin cessé de rire comme un idiot. Pourtant, il gardait un sourire tout à fait amusé et était obligé de se mordre la langue pour ne pas partir à nouveau en vrille. Sans prévenir, il s'empara d'une fiole vide, et entreprit d'enfermer un peu du gaz à l'intérieur. C'était difficile, de faire tout ça en s'efforçant de ne pas exploser de rire. Il prit un faux air concentré, fronçant les sourcils et se mordant la langue de manière tout à fait comique, et, bras levé et fiole en avant, s'amusa à attraper la fumée de la même façon qu'il aurait tenté d'attraper une mouche. Mais à chaque fois, il n'avait pas le temps de refermer le bouchon que la fumée ressortait. Alors, il recommençait, absolument pas conscient d'avoir l'air d'un parfait abrutit. Au bout de plusieurs tentatives, il finit par parvenir à reboucher la fiole, emprisonnant la fumée à l'intérieur. Victoire qui lui arracha un grand cri de joie. Suivi d'une nouvelle crise de rire.

'' Je l'ai eu ! Je l'ai attrapé. Regarde, elle tourbillonne. Merlin, ce que c'est drôle. ''

Et il colla presque son nez à la fiole, observant les volutes de fumées danser à travers le verre, tout à fait concentré, sourire aux lèvres, ne laissant plus échapper que quelques ricanements de temps à autres. Décidément, entre la potion hallucinogène qu'il avait malencontreusement ingéré quelques jours plus tôt et cette fumée euphorisante, il avait un peu l'air d'un toxico, le Regulus.

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