J'ai demandé à la lune, si tu voulais encore de moi.
Sombre est la nuit.
Nuit qui brille dans les yeux d'Alineor Buckley. Nuit qui hante ses jours et qui vient ternir un bonheur nouveau. La jeune femme soupire, les yeux rivés sur l'astre d'argent qui vient narguer le ciel d'encre de son insolente lumière. Les larmes coulent le long des joues de la jeune femme. Bonheur et tristesse mêlées, liées. Comme la mort à la vie. Comme l'ombre à la lumière. Un bonheur n'arrive jamais seul dit-on. Aujourd'hui, Alineor comprend le sens de cette maxime. Peur, doutes, tristesse, craintes sont venu accompagner ce bonheur intense.
Enivrant est le bonheur que la tristesse vient assombrir. Insurmontable est la tristesse que le bonheur vient éclairer. Les deux faces d'une même pièce.
Loin dans la nuit, un hurlement vient caresser la lune.
Déchirant le coeur de la jeune femme. Ce hurlement lui ôte tout espoir, ne laissant que peur et lassitude. Juste restent, ses pensées pour la sombre créature qui hante ces bois. Esclave de la lune, messager des enfers, émissaire du mal.
Loup-Garou.
Un seul nom, synonymes de peines et de souffrances. Son bonheur et sa destruction. Entre humain et animal. Créature qu'elle aime et qu'elle hait. Qui lui offre un bonheur intense ainsi qu'une peine éternelle. A la fois si humaine et tellement animale. Valse des sentiments, danse macabre où seule la lune est gagnante. Les mots de Liam lui reviennent en tête, mots qu'elle a refusé d'entendre.
« Je suis trop dangereux mon amour. Beaucoup trop. Vous serez mieux sans moi. Je devrai partir ... » Elle avait chassé ces pensée d'un revers de la main, lui répétant qu'elle préférait vivre avec un loup-garou que sans l'amour de sa vie. Mille et unes question se bousculent dans son esprit. Sur son avenir, le leur, et le sien. Sa main caresse le galbe délicat de son ventre. Où grandit une âme inconsciente des tourments de cette danse.
Fille de l'ombre et de la lumière. De l'humain et de l'animal. De la lune et du soleil.
Ewylan.
L'homme est-il un monstre ou le monstre un homme ?
Triste jour que celui qui se lève. Alors que l'automne laisse sa place à l'hiver, pâle et austère. Tout comme la lueur qui brille dans les yeux de la jeune fille assise sur le rebord de la fenêtre. Grande et fine, le visage régulier dont la seule expression est la détresse. Et le manque. Un larme coule le long de sa joue, symbole éphémère de rage et de douleur contenue.
C'était il y a un an.
Elle avait seize ans à peine quand c'est arrivé. Adolescente heureuse et souriante, malgré un père peu présent. Vive, gaie et impatiente, Ewylan avait une relation fusionnelle avec sa mère qui lui avait transmis sa force de caractère, sa bonté et son tempérament farouche. Envolé le bonheur, à jamais. Balayé en quelques mots, en une phrase, prononcée par un inconnu arrivant un soir, avec des paroles que jamais elle n’oublierait.
Ta mère ne reviendra pas Ewylan.Six mots qui brisent une vie. Six mots qui mettent fin à un bonheur unique et complet. Six mots et tout s'arrête. Brisée net, l'élan de vie, de joie, de rires. Seules restent souffrances et doutes. Ainsi que la rancune. Envers ce père qui n'est pas là. Qui n'a jamais été là. Pour ses anniversaires. Pour ses premiers pas. Pour ses réussites, pour ses échecs. Pour ses rires et ses larmes. Comme celles qui coulent, irrépressibles sur les joues d'Ewylan, tandis qu'elle attends ce père qui ne lui a rien donné.
La porte s'ouvre sur un homme fatigué. Grand et musclé, il comprends immédiatement. Plonge son regard dans celui de sa fille, d'un bleu aussi intense que le sien. Mais où brille une lueur sauvage, comme les flammes qui ravagent tout sur leur passage. Liam s'approche de sa fille, tentant de la prendre dans ses bras. Hésitation. Coeur brisé contre rancune ancrée. La jeune fille se contente d'hurler. Sa rage, sa rancune. Contre ce père qui n'a jamais été là. Qui l'a laissée subir seule.
« Princesse, je suis désolé tu entends, désolé ! » Il esquissa un geste pour la prendre dans ses bras. La farouche adolescente le repoussa violemment.
« Désolé ! C'est tout ce que tu trouve à me dire ! Désolé ! Putain Papa ! J'étais seule ! SEULE ! Et je l'ai toujours été. Où étais tu pour mes anniversaires ? Pour mon entrée à Poudlard ? Où étais-tu tout ce temps ? Par merlin, dis moi ! Dis moi ce qui te rend absent si souvent ! Donne la moi ta "bonne raison" ! » Hurlements. Larmes. Puis, le silence. Gêne et secrets. Une minute passe, longue comme une éternité de souffrances. Puis le père détache sa chemise, dévoilant un torse couturé de cicatrices. Marques éternelles d'un mal plus dangereux encore que la mort. La marque des esclaves de cette lune cruelle qui éclaire cette nuit de larmes.
C'était il y a un an.
Une année de souffrances et de doutes. De larmes et de questions. Où Ewylan a du apprendre à connaître la maladie qui lui a arrachée son père. Apprendre à vivre avec, comme sa mère le faisait avant elle, craignant de voir son époux partir à chaque pleine lune. Une année de deuil. Où ils durent apprendre à vivre sans elle. Deux âmes liées par le sang et par la douleur mais éloignée par un mal incurable. Ewylan sait à présent qu'elle devra vivre avec ce père qu'elle n'a que peu connu, mais aussi avec la lune qui le guide.
A jamais.
J'ai tout fait comme tu m'as dit, mais le rêve s'évanouit.
Le temps passe. Les souvenirs restent.
Impossible d'oublier. Seule option : vivre, avec la douleur et les souvenirs. Et grandir. Ewylan a dix-huit ans. Impertinente, impulsive et gaie, elle profite de la vie que sa mère a perdue, avec pour objectif d'enseigner cet art qu'est celui de la métamorphose. Vivre, oublier sa peine pour avancer. Malgré la mort qui hante, malgré la maladie qui à chaque cycle lunaire vient lui arracher son père. Vivre.
Bonheur comme une bouffée d'air après une noyade. Comme la lumière qui vient éclairer la nuit. Amour. Au détour d'un couloir, une amitié presque fraternelle. Gestes intimes, pressants, enivrants où l'amitié laisse sa place à un amour sincère et intense. Amour adolescent, soutien invisible, main tendue, qui pousse vers l'avant. Lui charmé par son impertinence, par ses rêves et par sa douceur dissimulée derrière cette fougue. Elle attiré par sa douceur, son tempérament fou et son regard protecteur.
Un bonheur n'arrive jamais seul, nous le savons fort bien.
Celui-ci s'accompagne d'une bonne nouvelle, annoncée au début de l'été par ce père si souvent absent. Un remède, issu des herbes d'Europe du Nord. Comme un espoir au coeur de la tempête. Joie intense, rêve de petite fille qui va enfin profiter de son papa. Promesse d'un avenir meilleur, d'une présence enfin réelle, après des années d'absences. Peine si longtemps cachée disparue, Ewylan sourit, enfin, les yeux dans ceux de son père.
Un bonheur n'arrive jamais seul, je vous l'ai dit.
Et là, les invités surprise seront bien cruels avec la jeune Ewylan. L'échec tout d'abord, du médicament découvert par Liam. Puis la peur, qui se lit dans les yeux du père, avant que la lune ne caresse sa peau avec sa cruelle lumière. Juste avant que la souffrance n'efface ses dernières traces d'humanité. Il avait échoué, à protéger sa fille du mal qui le rongeait. Avait cru un moment pouvoir être avec elle. Balayé les espoirs.
Douleur. Incompréhension. Peur. Ewylan prend la fuite. Les larmes coulent le long de ses joues tandis que se brisent ses rêves et ses espoirs. Seul reste le sang.
Comme celui qui coule le long de son dos.
Leur bonheur insouciant me brûle et m'enflamme.
Quand on est petite, on dévore des contes de fées, pleins de rêves et de promesses, de créatures et de sortilèges. On s’imagine princesse, vivant au milieu d’un splendide palais, délivrée des griffes du grand méchant loup par un fringuant prince charmant. On s’imagine fée des bois, aux pouvoirs magiques et à la grâce céleste. On imagine, on rêve. Et on grandit.
Les rêves se brisent. Les espoirs s’en vont. Seule reste la solitude.
Comme celle qui, cachée dans l’ombre de son regard, accompagne la jeune fille qui traverse le bois. Princesse solitaire au visage fermé, elle parcoure la forêt en silence, vêtue de vieux vêtements. Princesse solitaire au destin brisé, elle erre dans la nuit qui tombe lentement sur les arbres ancestraux. Blonde, un visage fin, des yeux jadis rieurs, qui expriment aujourd’hui crainte et tristesse. Ewylan, se stoppe, observant autour d’elle, écoutant avec attention les environs. Guettant le moindre bruit, le moindre son attestant de la présence d’une quelconque personne. Silence. La jeune fille lève les yeux vers le ciel, observant sans ciller le ciel prendre une teinte sombre. Alors que le soleil disparaît, ses pensées vont vers son passé, cherchant à capturer ces images de sa vie, avant que la lune ne vienne les happer.
La sensation du choipeau posé sur son crâne. Les applaudissements de ses camarades. Son rêve de devenir professeur. Ses baisers. Ses caresses. Le regard de sa mère. L’étreinte de son père, toute en pudeur et en tendresse. Les félicitations de son professeur. La sensation des pages d’un livre sous ses doigts. L’odeur du parchemin. Les rires de ses amies. Ses propres rires. Le sourire de sa petite soeur. Les blagues de son frère. Son premier vol sur balai. Ses baisers. Encore ses baisers.
Des sourires, des étreintes, des regards. Des émotions, des sensations. Qui disparaissent.
Seule reste la souffrance. Qui irradie chaque muscle de son corps. Corps qu’elle ne reconnait plus, qui s’allonge, se déforme. La lune observe, silencieuse et immobile, la jeune fille qui se transforme. Ongles qui deviennent griffes, peau qui devient fourrure, visage qui devient gueule. Ewylan pousse un cri de douleur qui n’a plus rien d’humain tandis que son corps la brûle de l’intérieur. Les contes de fées ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être. Parfois ils se retournent contre nous, la princesse devenant grand méchant loup. Ewylan n’est plus Ewylan. Elle n’est plus qu’une bête aux crocs acérés. Loup-Garou. Créature du diable, esclave de la lune, monstre cruel. Mais par Merlin, entendrez vous ses sanglots, derrière le hurlement du loup ?
Les souvenirs ne sont plus. Seule reste la soif de sang.