Il avait su savait que s'il passait les vacances de Noël au Brésil, il les maudirait encore un peu plus. Pourtant, il est là, dans les rues de Macapá, où règne une chaleur étouffante. Le matin même, il a eu dix-neuf ans, et tout ce que sa mère a trouvé à lui dire au réveil est qu'il avait une mine horrible. Né le jour le plus long de l'année au Brésil, il a pour la première fois ressenti chaque seconde de la journée. Amer, il traverse la route sans un regard, comme aveuglé par la colère. Il tourne à l'angle et s'engouffre dans une ruelle sale et sombre, qui débouche sur des escaliers. Il les descend quatre à quatre, puis, ébloui, il sort de sa poche des lunettes de soleil, qu'il perche sur son nez droit. Au pas de course, il s'élance à travers les dédales de la cité bruyante jusqu'à la plage, et quand il arrive, l'océan commence déjà à étreindre le soleil.

Allongé dans le sable, Cielo contemple la voûte céleste. Il frissonne au bruit du flux et du reflux de l'océan, et il regarde d'un œil mauvais la lune, responsable des marées. Le crépitement du brasier ne l'apaise même pas. Sa naïveté d'avoir cru qu'il pourrait s'entendre avec ses parents lui donne envie de vomir. A trop vouloir qu'il atteigne la perfection, ils ont finir par créer un véritable étranger. Il est froid, calculateur, hautain. Méprisable. Il est l'antithèse de leurs attentes, et il ressent bien leur déception. Leur seule fierté réside dans son acharnement pour le travail. Il est compétitif, et sa détermination est telle qu'il n'hésite pas à agir de manière discutable pour écraser les autres. Surtout Danderyd. L'animosité qu'il éprouve pour elle est réciproque, et tous les moyens sont bons pour pousser l'autre à l'erreur. Il la hait. Il s'en veut de penser à elle, mais Skye est, en quelque sorte, son obsession. Comme pour s'efforcer de la chasser de ses pensées, il passe la main dans ses cheveux, s'arrête sur un nœud, qu'il démêle avec soin, puis il fait rouler les fins grains de sable entre ses doigts. La colère le ronge, alors, il empreinte la seule échappatoire qu'il connaisse ; il se lève, et laisse passer les minutes, immobile. Insensiblement, son corps s'éveille.
Et il danse.

Dans la nuit profonde, il s'embrase. Sous ses pieds, le sable s'échauffe, tandis qu'il ondule. A la lueur du feu, c'est tout son corps qui brûle. Ses muscles semblent s'enflammer au moindre mouvement, la lumière chatoyant le long de son corps dévêtu. Dans l'obscurité de la nuit, il illumine la plage. Il brille. C'est comme si son enveloppe charnelle renfermait toutes les nuances, toutes les teintes du feu. Par tous les pores, il irradie de lumière. Ondes bienveillantes qui guident dans les moments de doutes, rayons tamisés qui apaisent, et lumière du jour. Pleine. Pure. Solaire. Et tandis qu'il danse, le feu qu'il a allumé, il y a si longtemps maintenant, a perdu de son éclat. Imperceptiblement, il a remplacé ce foyer incandescent.

Lentement, bien trop lentement, il entend le souffle feutré de la porte qui se referme, glissant sur la moquette épaisse. Il tend la main vers la poignée rouillée, mais il sait que c'est peine perdue. La fatigue le terrasse, et dans un soupir de désespoir, il se laisse tomber contre le mur poussiéreux, avant de poser son front sur ses genoux. Ce soir-là, rien ne s'est passé comme prévu. Danderyd l'a une fois de plus battu au devoir de magie noire. Pour la première fois depuis des lustres, on a résisté à ses avances. Sa peau mate, ses cheveux sombres, son sourire ravageur et ses muscles travaillés des heures durant n'ont pas eu raison de la très jolie Lola. Elle lui trouve trop de défauts. Il a réprimé son envie de lui rétorquer que la qualité de ses performances horizontales ne faisait pas partie de la -très- longue liste de ses défauts. Pour cloturer le tout, il se retrouve enfermé dans cette pièce miteuse. Une bonne nuit de sommeil ne lui ferait que du bien. Tandis qu'il tente d'apaiser le flot ininterrompu de ses pensées, il ne voit pas la brume qui se condense devant lui, et c'est uniquement quand il entend le clapotis de l'eau qu'il ouvre les yeux.
Trop tard, l'épouvantard se joue déjà de lui.

Le cri déchire la sérénité de la forêt, et l'espace d'un instant, les animaux se taisent. Sur la berge, en bas de la chute, Cielo, alors âgé de huit ans, attend que son cousin le rejoigne. Insouciant, il observe le lac, qui découle plus loin sur un fleuve, et quand Donovan émerge, il l'acclame entre cris de fierté et applaudissements. Ensemble, sur la terre ferme, ils se laissent aller à rire à gorges déployées. « Vas-y Cielo, à ton tour ! » le défit son cousin. « Tiens toi bien Dono, tu n'verras ça qu'une fois dans ta vie. » Il esquisse un sourire malicieux, et commence son ascension, moins sûr de lui qu'il n'y paraît. En haut, sur le promontoire d'où il doit s'élancer, une bête féroce déchire ses entrailles. La peur. Le courage n'a jamais été sa qualité première. Il est perspicace et se rend bien compte de la folie dont il va faire preuve. Tant pis. Il se propulse. La chute semble durer une éternité. Une éternité durant laquelle le bruit de l'eau qui grouille l’oppresse. Et ses pieds heurtent un mur. Il est déboussolé. Il ne voit plus ni surface, ni fond. L'eau noire tout autour de lui ressert sa prise sur son prisonnier. Il suffoque. Des bulles s'échappent de ses lèvres, ses poumons sont douloureux. Il se sent partir.

Il ouvre les yeux, il ne doit pas se laisser submerger par le souvenir. Ce n'est qu'un épouvantard ; Dono l'a sauvé. « Riddikulus. » Le liquide se solidifie, et se transforme en ballons gonflés d'hélium. Son rire fort sonne faux, mais suffit à faire disparaître l'épouvantard.
Alors, il tombe à genoux. Accablé, il laisse échapper un sanglot. Sa gorge se noue. Son estomac fait des siennes. Il serre les dents et tente de se contrôler. La vision de l'eau dansant devant ses yeux semble être imprimée sur ses rétines. Dans les méandres de l'épouvantard, il l'a vue. Skye. Elle est à la fois son opposé, mais ils sont aussi le même côté d'un aimant, voués à se repousser sans relâche. Elle est l'eau, lui le feu. Ils sont le ciel. Il la déteste autant qu'elle le maudit, mais elle l'attire comme personne. Et il s'en veut. Il ne peut pas penser cela. Il ne l'aimera jamais, point. Il va en faire sa proie. Une énième conquête qu'il oubliera après l'avoir consommée. Il explose. Il envoie balader rageusement son point contre la cloison épaisse, et un craquement sonore d'os brisés rompt le silence de la pièce close. « Par les glandes de Merlin, bordel de Dieu ! » Il s'acharne contre les murs, n'ayant que faire de la douleur. Il canalise sa colère et sort sa baguette. « Bombarda » La porte vole en éclats. Qu'importe, elle n'aurait pas du tenter de lui résister.

Sa colonne vertébrale le tiraille d'être resté assis depuis si longtemps sur cette chaise austère, alors Cielo joint ses mains, lève les bras en l'air, se penche vers l'arrière et quand il sent ses vertèbres craquer, il expire enfin. « Volver, tâchez de faire preuve d'un peu de politesse quand vous êtes dans ma classe. » Vieille fille. Il lui envoie toutes les ondes négatives qu'il trouve en lui. Passé les aspics, il s'était attendu à ce que les professeurs se montrent enfin réellement dignes d'intérêt, mais elle semblait apprécier jouir d'une réputation déplorable. Il laisse son regard s'attarder sur le temps maussade typique de l’Écosse, et tente de s'arracher la peau qui le nargue, près de l'ongle de son index. Lorsqu'il sent que ses pensées se dirigent vers Danderyd, il s'applique à décortiquer le paysage qu'il connaît pourtant comme une chanson d'enfance. Mais il n'y peut rien, elle traverse son esprit, inlassablement. Elle est son épée d'Excalibur, son escalier sans fin. Quoi qu'il fasse, elle le traite avec mépris. Son agacement égale son désir. Il s'est pris au jeu. Les règles l'effraient un peu, c'est vrai, mais comme un jeu moldu où l'on mise de l'argent, il n'arrive plus à se défaire de cette envie de gagner le tapis. Mais il ferme les yeux. Il n'est pas prêt à accepter les choses telles qu'elles sont. Pour l'instant, il se convainc qu'elle n'est qu'une cible. Un gibier plus convoité que nécessaire, mais si rare qu'il justifie son addiction.
Il interrompt ses rêveries. Cette fois, il tire d'un coup franc, et la peau vient avec. En guise de récompense, de légers picotements désagréables, et un faible goût du sang. Il regrette déjà d'avoir cédé.

« On sait tous les deux que je vais te démonter, Volver, avoue-toi vaincu. » Ses lèvres ne peuvent s'empêcher de former un sourire de défi. Elle a du caractère. Le challenge est d'autant plus intéressant, les filles faciles sont trop fades. « Tu rigoles ? Jamais ! » Il fait rouler sa baguette avec flegme. Et forfanterie. Il doit la battre. Depuis le début d'année, Skye ne lui laisse plus une once de chance de le battre en quoi que ce soit. Elle l'a traîné en ridicule en magie noire, où il n'avait encore jamais échoué, et même en cours de maléfices et enchantements, qui est sa matière favorite. Mais ce soir, il tient sa revanche, il va la battre devant tous les élèves de l'option de duel. Il a une botte secrète. Elle cèdera avant lui. « Tu l'auras cherché. » Il la voit se préparer. Et avant de lancer le sort qui lui clouera les fesses au sol, il envoie, perfide : « T'aurais peut-être mieux fait d'utiliser ta baguette pour sauver Chloé. » Il n'a pas besoin de voir la tristesse et la haine qui émanent du visage gracieux de son adversaire pour savoir qu'il est allé trop loin. Il a franchi une limite impardonnable. Et alors, il éprouve un sentiment depuis longtemps oublié.
De la culpabilité.