Tu aurais pu être une jolie blonde, tes cheveux d’or voletant, malmenés par la brise légère. Tu aurais été brune qu’on t’aurait vu comme digne héritière de ton père, sa crinière de jais rappelant le corbeau majestueux. Au lieu de quoi tu étais rousse. Une rousse flamboyante dont le regard changeant était empreint d’une infinie curiosité. Tu détonais dans l’arbre généalogique, dans les soirées ou sous les flashs des photographes. Tu avais toujours dénoté, mais jamais tu n’y avais prêté une quelconque attention jusqu’à ce jour. Ce don que tu possédais ne t’avait jamais plus perturbé que cela. Ton naturel à ce sujet en avait déconcerté tes parents. Tu avais même, face aux précepteurs, arboré fièrement le mauve original de tes prunelles fuyantes. Aujourd’hui pourtant tu en avais honte. Une profonde honte. C’était comme si le ciel venait de te tomber sur la tête, ton cœur s’emplissant d’une tristesse sans nom, faisant déborder la mer bordant le clair-obscur de tes pupilles irisées. Sur le vieux parchemin s’échouaient les larmes que tu ne cherchais plus à retenir. Le vieux bureau sentait le renfermé, le livre ancien et le bois soigneusement ciré. Mais il sentait aussi l’âcre senteur de la trahison. Rosebury, un nom reconnu. Rosebury, un nom prêtant à sourire. Rosebury, la pureté. Tu n’étais malheureusement pas plus Rosebury que le commun des mortels, le commun de ces insignifiants moldus. Tu étais une enfant adoptée, et lorsque ton corps se métamorphosait, lorsque tout ton être subissait les soubresauts de l’incontrôlable changement, tu plaçais à la vue de tous le symbole du mensonge. Nul n’avait jamais été métamorphomage parmi les tiens. Nul n’avait jamais eu quelconque particularité si ce n’était peut-être un Q.I supérieur à la moyenne. Toi, tu aurais voulu être l’image de la banalité sorcière, au lieu de quoi tu étais un phénomène de foire que les autres parents observaient avec un mélange d’intrigue et de moquerie. C’était ainsi que tu percevais les murmures, les messes basses. Du haut de tes onze ans, toute proche de ton entrée à l’école de sorcellerie Poudlard, tu découvrais le pot aux roses – sans mauvais jeu de mot. Tu n’étais qu’une bâtarde, une impure, une indésirée et même ta mère biologique t’avait rejetée. Sang-mêlée. Sale sang-mêlée. Car si tu n’étais pas en âge de déterminer l’émotion qui t’étreignais, tu te sentais bel et bien salie par cette dissimulation dont l’injustice t’écoeurait. « Elseyann, où es-tu ? » Interrogeait celle qui prétendait être ta mère tandis que tu t’emmurais dans le mutisme, ta longue chevelure prenant une teinte mauve morose, la teinte significative d’une mélancolie subite, exacerbée. Un pessimisme naissant en ton âme déçue, presque déchue. Comment assumerais-tu, face aux autres étudiants de l’école ? Tu ne pouvais plus te vanter d’une ascendance prestigieuse. Ton identité déjà ne te semblait plus tienne. Elseyann Rosebury, qui était-ce dans le fond ? Dix années d’éducation trompeuse. Tu t’étais imaginée cent fois la façon dont tu comptais te présenter à tes futurs camarades, avec l’élégance et la fierté dont ta lignée se targuait… mais tu n’en étais plus. Jamais tu ne dirais ces mots, jamais tu n’irais expliquer ta particularité par ce sang si pur qui aurait du couler dans tes veines. Tu ne comprenais plus ni tes origines ni ta famille. « Elseyann, mais enfin que fais tu ic…. ? » La phrase était demeurée en suspend, ainsi, alors que la blonde créature fixait son attention sur le papier qui tenait encore entre tes mains. Le secret dévoilé, sa plus grande crainte prenait corps. « Oh ma chérie, tu n’aurais jamais… je suis tellement navrée… » avait-elle soufflé, s’approchant de ton petit être frêle et replié sur lui-même. Elle t’a peut-être entourée de ses bras pâles, tu ne t’en souviens plus. Elle était si tendre quand ton père était distant. Tu ne manquais pourtant d’aucune forme d’amour, non. A partir de ce jour, tu avais manqué de toi-même, et pour toujours. « Nous t’aimons plus que tout, Elseyann. » n’avait-elle cessé de répéter, mais déjà tu ne l’écoutais plus, mortifiée, terrifiée, honteuse et dégradée. La métamorphomagie, fierté de ses possesseurs, fardeau pour ton si petit cœur.

Tous les jeunes sorciers étaient émerveillés à la découverte du château de Poudlard, mais ton sentiment était tout autre, mêlé de crainte et de malaise. La petite demoiselle que tu étais, la crinière mauve du haut de tes onze ans, était plus qu’intimidée. Tu voyais tous ces sang-purs dont les noms reconnus auraient du se lier au tiens, mais tu marquais une distance, hostile à être approchée. Ton allure étrange provoquait les murmures, te faisant baisser les yeux, et déjà en ton esprit naissaient les prémices d’une psyché maladivement atteinte. Le Choixpeau le perçu, à peine fut-il posé sur le haut de ton crâne. Indécision, trouble. Une part de toi était rongée par l’ambition, rongée par des idées de pouvoir, de ruses, mensonges et préjugés. Une part sombre qui ne connaissait pas les limites, qui désirait briller comme tant d’autres. L’autre part se morfondait dans la honte du déshonneur, dans ce secret mal assumé, dans la soif de savoir à tout prix, la curiosité vivace enlaçant ton cœur blessé, larmoyant du sang de la traîtrise. Si jeune et déjà torturée par des préoccupations qui n’étaient pas de ton âge. Ce fut à partir de là que tout changea pour toi. D’abord dénigrée, d’abord traitée comme les Lovegood, ces étranges personnages, tu pris les choses en mains, t’acharnant à gagner en maîtrise sur ta Métamorphomagie afin de te créer le masque de perfection que tu estimais mériter. Après la troisième année, le roux profond, flamboyant de ta chevelure revint, écartant le mauve mélancolique d’autrefois, et tes billes rosées par la douleur reprirent l’éclat bleu pailleté de vert qui leur était naturel. Elseyann, la vraie, était née, laissant dans l’ancre du spleen celle qui deviendrait Bluenn, la triste enfant écartée du monde. Tu offris tes seize ans à un garçon plus âgé, inconsciente peut-être du cap qui ainsi passait. Finie l’enfant solitaire, gâtée par le sang souillé. La fille de la jolie styliste Rosebury et de son éleveur de mari avait gagné légitimité et protection à mi-temps. Sous la rousseur presque rouge de tes cheveux se distinguait une hautaine garce fière de ses origines, à l’instar de tant d’autres, écrasant la concurrence et écartant les nuisibles inutiles de son chemin. Sous les couleurs fantaisiste de ton don, tu disparaissais à la vue de tes camarades habituels pour en retrouver d’autres, plus humbles, plus humains, plus tolérants. Double jeu. Double monde. Ta vie équivalait à la complexité de celle des espions de films moldus, et si Elseyann se présentait comme tolérante et courageuse, peut-être morose, elle n’en était pas moins douce. Bipolaire. Tantôt âpre, amère, tantôt tendre et protectrice, mais peu encline à la fidélité. Ils étaient pour toi tous oublie de ta condition, comme si tu avais besoin de deux planètes distinctes pour te sentir complète en te glissant dans tes draps, le soir… quand tu ne glissais pas dans ceux de certains autres, à l’abri des regards contre le règlement de Poudlard.

Le destin avait fait de toi l’indésirable, t’offrant un déficit profond en affection, avide de plaisir, de vie, de mensonges, de paraître plutôt que d’être. L’une des deux personnes que tu jouais disparaissait toujours, intriguant parfois, te forçant à redoubler de vigilance pour qu’on ne te reconnaisse ni dans l’une ni dans l’autre en même temps. Ta véritable apparence se dévoilait sous le masque de la personnalité travaillée d’Elseyann quand ton caractère réel apparaissait sous le physique étrange de Bluenn. Les Rosebury sont-elles cousines ? Non, elles sont une. Tu étais deux. Jamais le personnel ne s’était mêlé de la façon dont tu agissais car après tout, tu répondais toujours à ton nom de famille et autour, nul ne leur indiquait qu’il manquait quelqu’un à leurs yeux. Ambiguïté profonde jusqu’à la chute, jusqu’à ses lèvres brûlant encore sur ta peau. Il était toujours là, toujours présent, toujours autour de toi. Depuis tes seize ans. Et lui avait découvert la réalité de ton trouble, de tes deux côtés.

« Sang-mêlée, hein… » Sa voix grave te faisait toujours frissonner. Il n’était pas tien, tu n’étais pas auprès de lui légitime, et à vrai dire vous ne partagiez qu’une amitié torride, sans engagement autre que le plaisir partagé, la loyauté à l’autre. Il était le seul être auquel tu étais véritablement loyale, d’ailleurs. Mais en cet instant, à l’aube de ta neuvième année, tu frissonnais d’effroi. « Je t’en supplie, ne le dis à personne ! » Il aurait ruiné ta folie ambitieuse, ton désir dévorant de réussite, coûte que coûte, jusque dans la noirceur qu’avait prise ton âme. Tu n’étais plus seulement une enfant brisée, tu te morcelais dans ces mensonges accumulés. Il ne connaissait de toi qu’Elseyann, sans son don, sans sa honte. Ton masque se fendillait sous ses yeux, tes prunelles virant au rose alors que tes cheveux prenaient une teinte bleue. Sur les murs de ton manoir écossais ton portrait si parfait, si travaillé, en aurait pleuré. Mais devant le corps masculin, tu te redressais, alliant pour la première fois la fierté de la rousse qui relevait le menton fièrement, à la fantaisie souillée de l’arc-en-ciel sorcier. Pour son amitié tu acceptais d’unifier ton être, sous la promesse de son silence. Tu ne voulais pas être privée de lui, de ce bien être que tu ressentais en partageant les soupirs, les délires, les mesquineries. « Je ferai absolument tout ce que tu veux, mais n’en parle pas… » Etonnant contraste de ce bout de femme à la silhouette parfaite, à l’air noble, pur, et aux paroles suppliantes. Au fond de tes prunelles pourtant se cachait le fou besoin d’une inaccessible légitimité. Adoptée, voilà ce que tu étais : rien qu’une gamine adoptée. Et révéler ton secret serait faire sombrer les préceptes d’une dynastie bien forgée dans l’antique société sorcière, frappée de stérilité et de secrets. La métamorphomagie, ta malédiction et ta clef. Jamais tu n’avais songé qu’à ton aspect mêlé se supplantait ce don précieux, envié, qui pourrait peut-être t’offrir convenables épousailles et statut dans la société.

Pauvre petite fille riche, gâtée par la nature, embellie par la pâleur délicieuse de ta peau et gâchée par la fragilité de ton cœur. Accrochée bec et ongles à ta détermination, tu t’accroches à tes études, à cette magie obscure qui te fascine, et le savoir serait pour toi le poison dans les veines des gêneurs potentiels, ne leur en déplaise.