Dix-sept heures et des poussières. Le temps est interminable. Affreusement long. Pourquoi tout est trop lent autour de moi ? Bien trop lent. Mes doigts jouent sur un piano inexistant une mélodie hasardeuse. Nerveusement. Ca fait ‘tap, tap, tap’ sur la table. Le rythme accélère, les ‘tap’ deviennent plus nombreux, jusqu’à ce que je perds le fil et que ça ne ressemble plus à aucune mélodie. Je perds toujours le fil. De tout. Je lève les yeux. Le pot de fleur a déjà une fissure. Pas de ma faute, je vous jure. J’ai cassé beaucoup de pots de fleur dans ma vie, mais pas lui. Je ne crois pas. Je ne suis pas la seule à briser ce qui m’entoure visiblement. Il y a le blond, qui gratte sur son parchemin avec sa plume. Il gratte toujours. « Eh, tu peux me donner l'heure ? » « Dix-sept heures quarante-trois. » « Quarante-trois ? Bon sang. » Dix-sept heures quarante-trois, et Blaine n’est pas là. Et le temps est toujours interminable. Elle est en cours. Je me lève brusquement de ma chaise, et je fais sursauter le blond, qui renverse maladroitement son encre sur son parchemin, et je pouffe de rire, ce qui est ridicule, au fond, parce que le blond a également taché sa robe de sorcier, et qu’il jure, et que c’est triste pour lui, ça lui fait perdre du temps. Et le temps n’a pas l’air interminable pour lui, au contraire. Je quitte la salle commune des jaunes en m’excusant, parce que c’est de ma faute, tout ça. C’est ma faute.
J’arpente les couloirs. Pourquoi je me sens toujours aussi seule sans elle ? J’ai parfois cette impression de ne connaître qu’elle. Que tous les autres sont des étrangers. Je ne m’en plains jamais, sauf quand elle n’est pas là. Parce que je n’ai plus personne, lorsqu’elle n’est pas là. Je suis seule. Démunie, voilà, c’est ça. Je me demande si elle se sent aussi perdue que moi. Et après des dizaines de visages inconnus, mes yeux se portent enfin sur une personne familière. Lui, Remus Lupin. C’est vrai qu’il n’est jamais loin, et il ne me faut jamais bien longtemps pour le trouver. Je ne sais pas s’il m’a vue. Un sourire mutin se dessine promptement sur mes lèvres charnues. Je lève la tête, et file en sa direction. Démarche assurée, je ne ralentis pas pour autant lorsque j’arrive à ses côtés. « Accompagne-moi dans la forêt interdite. » Et j’accélère, même. Il ne faut pas que je lui laisse le temps de répondre. Je perds, sinon. C’est comme ça.
La neige craque sous mes pieds, et je ressers ma robe de sorcier contre moi. Ah oui, il fait froid. Cruellement froid. Peu importe, je continue à tracer. Je ne me retourne pas, et mes pas se font plus rapides arrivée à la lisière de la forêt. Bordel, et s’il n’est pas derrière moi ? Tant pis ? Ouais, tant pis. Peu importe. Je m’arrête enfin, au beau milieu de la forêt interdite. Je suis essoufflée, à vrai dire. J’ai marché trop rapidement. Je ne saurais pas dire pendant combien de temps. Dix minutes ? Trente ? Plus ? Moins ? Sais pas. Et Remus est là. Et dire que j’ai eu peur, un instant, un court instant, qu’il ne me laisse seule. « Tu me suivrais n’importe où, dis ? » Mes lèvres s’étirent en un sourire malicieux, et je me retiens de rire un peu.

Retourner au château, bien évidemment, c’est ce que Remus propose. Qu’aurait-il pu dire d’autre ? M’encourager à aller plus loin dans la forêt ? Oh ça non, pas lui ! Je ris un peu, parce qu’honnêtement, je n’aurais pas couru jusqu’à m’en tirailler les poumons jusqu’ ici pour repartir aussi sec, simplement parce qu’il me dit de le faire. Ce serait une belle perte de temps. Et j’ai aucune envie de perdre mon temps, vous voyez ? J’en ai gaspillé suffisamment, moi. Non, non, maintenant que j’y suis, je continue dans ma lancée. Avec ou sans lui. Je préfère qu’il soit là. Et je doute qu’il reparte maintenant que nous y sommes. C’est Remus. Il sera là, toujours là. Et je ne vais pas m’en plaindre, oh ça non. Il s’approche un peu et insiste un peu plus. « Dangereux, jusqu’à quel point ? » Ca, c’est ce qu’ils disent tous, que c’est dangereux, c’est vrai. Juré, les professeurs, les élèves, tous. Peu importe. Je suis décidée ; comme toujours. Je capture sa main et resserre mes doigts gelés contre les siens. « Allez, viens, on continue. » Et j’avance, l’entraînant avec moi, sans véritablement lui laisser un droit de réponse. « Et dire que tu es supposé être le plus courageux. Non, vraiment, c’est absurde. Ils s’entêtent à vouloir nous ranger, mais c’est bête, hein ? On ne peut pas se faire classer aussi facilement. Nous ne sommes pas tous pareil ; heureusement d’ailleurs. On ne se résume pas à être « juste, loyale et patient ». Je ne suis même pas patiente, ni juste, et guère loyale. La bonne blague, vraiment. Et puis, quand bien même, tout le monde change, n’est-ce pas ? Et si on ne possède aucune qualité requise ? On ne peut pas se faire répartir, et on est renvoyé de Poudlard parce qu’on est « inclassable » ? » Je m’arrête un instant ; il fait sombre, et je ne sais pas dans quelle direction aller. Il y a des buissons, partout, vraiment partout. Je ne sais même plus par où je suis arrivée là. Bon sang. Et je ne sais même plus pourquoi je tenais à entrer dans cette forêt non plus. Une idée, une simple idée. Vous savez, ce genre d’idée qui vous passe par la tête, mais qui ne reste jamais bien longtemps. Elle disparait en un claquement de doigts, et vous l’oubliez, parce qu’elle n’était pas primordiale. Enfin, je n’y étais jamais allée, dans la forêt interdite, moi. C’est pour ça aussi. Il faut bien que j’y mette les pieds une fois. Je suis sûre que tout le monde y est déjà allé. Et il faut bien tuer le temps sans elle. Finalement, je tourne à gauche, au hasard. « Tu resteras à Poudlard pour les vacances de Noël toi ? Merde, il caille ici, en plus on voit plus grand-chose. Gauche ou droite ? Faut que j’en parle à Blaine, des vacances de Noël. Si elle reste à Poudlard, autant rester avec elle, tu vois. On tourne à droite ou à gauche ? »