Les cris résonnent autour de la fillette, déchirants, brûlants, grafignant de l'intérieur sa naïveté depuis longtemps perdue. Les hurlements provenant de l'extérieur s'entrechoquent dans sa minuscule tête couverte de fils dorés. Demain, elle fera face à la routine, au sang sur le pas de la porte, tachant la neige vierge déposée par l'hiver anglais. Elle verra peut-être sa mère en pleurs, son père en boule dans le jardin, refusant qu'on l'approche pour la semaine à venir. Elle déjeunera seule, avec un morceau de tarte à la citrouille trop froid à son goût. Elle ne dira rien, elle restera silencieuse, de marbre, forte. Et lorsque la nuit tombera de nouveau, elle s'enferma dans sa petite chambre aux murs pêche et ne dormira point. Elle aura trop peur de ses cauchemars, ceux qui la laissent frissonnante dans la noirceur pour des heures et des heures. Alors, elle priera. Elle priera pour que son père aille mieux, pour que sa mère le pardonne, pour que cela ne se reproduise plus. Mais, dans quelques semaines seulement, il disparaîtrait à nouveau, emmenant avec lui des villageois innocents ou quelques moutons égarés dans les boisés entourant leur chaumière délabrée.

Cette nuit, elle peut l’apercevoir de la fenêtre. Il est terrifiant, sombre, immense. Il est cabré, son corps recouvert d'une épaisse fourrure corbeau. Son père chéri, d'ordinaire aimant et doux n'est plus que l'ombre de lui-même. Une ombre carnivore, dangeureuse, meutrière. Il s'étouffe sur un morceau de chair pris entre ses dents et reste tapis, près à bondir sur un passant imprudent. Elle descends les escaliers pas à pas, ses pieds nues contre le bois glaciale. La porte principale est entrouverte. Hazel glisse sa tête dehors. Il est là, quelque part, sous toutes ses couches de haine sauvage, son papa d'amour. Celui qui fait des gaufres au chocolat les dimanches matins, qui connaît des comptines farfelues sur des sorciers qui perdent leur culotte, qui fait de jolies feux d'artifices dans leur jardin pour son anniversaire. Il est là, elle le sait pertinemment. « Papa. » Ses murmures forment un léger nuage dans l'air froid. Elle tends sa main vers la bête mais elle n'a pas peur. Du haut de ses six ans, plus rien ne lui importe autre que ses parents chéris. « Papa, regarde moi. » Ses yeux brillant de larmes, la mâchoire serrée, elle insiste sur chaque mot. Le loup grogne et elle demeure sans mouvement. Il se tourne, montrant ses crocs aiguisé encore teinté de rouge. Dès que leur regard se rencontre, le lycanthrope se jette en un bond vers l'avant. À quelques centimètres d'Hazel, il s'apprête à lui asséner un coup de griffe en plein visage lorsqu'elle se retrouve tirée, vers l'arrière en évitant de justesse cette attaque. Le bras entouré autour de sa taille est celui de sa douce mère, facilement reconnaissable par ses dizaines de cicatrices. Les deux en jaquette légère atterrissent brusquement dans les flocons blancs. L'enfant roule sur le sol, se protégeant la tête. Sa mère, en sanglot, se camoufle le visage avec ses mains. Un flot de sang est facilement visible, coulant goutte par goutte sur le sol. « Hazel, cours. Dans la maison, vite! » « Maman... » « Hazel! » Elle résiste quelques secondes à abandonner sa mère lâchement mais ne peux trouver de solution plus sécuritaire et prends ses jambes à son cou.

***

Il est midi. Son père est tranquillement assis sur la plus grande chaise de la cuisine, celle avec le coussin rouge brodé par sa mère. Hazel mâche lentement des morceaux de brocolis bouillis en fixant son assiette. Sa mère est là, elle aussi, ses lèvres de miel fendues par une longue cicatrice. En les regardant, on pourra facilement voir que ce couple fait la pair. Les deux portent aux visages les vestiges d'une malédiction qui pèsent sur la famille, insupportable mais invincible. Sans bruit, la fillette observe. Il y a de cela des années que son père est sortie avec eux pour la dernière fois. Tous les mois, il part quelques jours, seul, s'enfonçant dans la sombre forêt et revient sans un mot, avec parfois de nouvelles cicatrices.

On vit comme si ne rien était. Comme si le fantôme de la lycanthropie n'hantais pas leurs jours et leurs nuits. Hazel, pourtant, garde en elle ces souvenirs atroces, comme les cendres du feu de vie qui brûlait autrefois en elle. Personne ne doit savoir, personne ne doit en entendre parler. Elle sera Hazel Wolingster à présent. Au revoir Hazel Wales, au revoir le loup, au revoir les siens. Elle se répétera ses mots à jamais. « Au revoir le loup, au revoir les miens. »